Désir et spontanéité.

La rémission de l’anorexie mentale se caractérise par des expérimentations multiples. Dans ma thèse, je suis arrivée à deux constats 1) l’anorexie mentale a pour cause principale une ignorance douloureuse de soi-même, une incapacité à définir son identité, qui dégénère en distorsion de l’image corporelle dont le but est de rendre visible, et de délimiter, un soi dont justement les frontières et la substance sont inconnues ; 2) par conséquent, le corps obéit à une loi subjective (il est ramené dans l’ordre de la subjectivité) au lieu d’avoir lui-même une existence propre, et de suivre ses propres besoins.

De ce point de vue, le régime dit « intuitif » est intéressant : il s’agit essentiellement d’apprendre à écouter le corps, et ce contre l’organisation conventionnelle (culturellement déterminée) des repas, ce contre les normes socialement admises quant à ce qu’est une alimentation saine. Ça veut dire incidemment que le corps, s’il ne doit pas être assujetti à l’ordre de la subjectivité, n’est pas non plus une chose entièrement domestiquée, et continue à obéir à ses propres programmations biologiques : celles-ci deviennent, en fait, le premier moteur de la guérison. La thérapie doit permettre une régression vers une norme biologique qui s’affranchit des déterminations sociales ; et parallèlement, la recherche du « soi », de l’identité, doit cesser d’empiéter sur le corps (ne plus pousser plus le sujet à le modifier intentionnellement pour en faire un support identitaire forcé). Idéalement, ce dégagement du corps d’une double contrainte, qui doit conduire le sujet à rechercher son identité profonde ailleurs que dans le contrôle du corps, permet de formuler différemment l’énigme de l’identité : « qui suis-je ? Aussi bien : quel est, en moi, le désir qui se caractérise par la plus grande spontanéité ? ».

L’habitude d’écouter ce que le corps demande, en le détachant d’enjeux affectifs ou de normes sociales (devenues elles-mêmes déréglées) qui en troublent les signaux, entraîne, de manière intéressante, une capacité à écouter en soi-même une voix subjective — plus tôt refoulée.

Le corps n’est pas l’identité, il est peut-être ce par quoi le désir s’exprime, mais il est aliénant « d’en passer par lui » pour trancher la question du soi. La recherche du soi suppose une régression en-deçà de ce que le corps manifeste du soi.

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