Pouvoir dire “merci”.

Je repense à un petit texte que j’avais écrit ici sur la question de l’héritage. Je disais, pour faire court, que l’acte de la transmission, d’un parent à un enfant, n’avait pas seulement de valeur du point de vue l’objet particulier qui se trouvait être transmis, mais surtout comme acte signifiant plus largement que l’enfant était digne de recevoir, digne d’être héritier. Les choses transmises valent moins par leurs déterminations particulières – telle ou telle compétence, telle ou telle possession – que par leur signification symbolique : par le sentiment de légitimité qu’elles confèrent à l’enfant qui les reçoit.

Hier je me suis aperçue que la psychanalyse avait un rôle à jouer de ce point de vue aussi. Quelle fut, en effet, pour moi, la première expérience de gratitude ? Certainement celle que j’ai éprouvée à l’égard de ma psychanalyste. Pour la remercier de ce genre de don, très spécifique – qui est venu pour moi tardivement, parce que de manière transférentielle, par le dispositif analytique. C’est le don de cette qualité de légitimité qui peut s’inscrire de manière fondamentale dans la construction narcissique du patient. Ça veut dire que le patient peut remercier, comme un enfant remercierait un parent, pour la dette qu’il a vis-à-vis de lui à l’égard de ce qu’il est devenu – une personne libre, autonome. Mais aussi une personne qui a le savoir que cette liberté, comme je l’ai dit récemment, ne se construit qu’à deux : qu’on ne peut la tenir que d’un autre être libre, qui est une source d’émulation. Un autre être libre qui a le mérite de la générosité ; qui donc représente, en tant qu’autre, la possibilité de la bienveillance. Bienveillance par quoi il faut entendre « attitude constructive », et non destructive, vis-à-vis du patient.

En clair, pour aller au-delà de ce que j’avais écrit, l’acte de transmission, s’il ne vaut pas seulement par la valeur matérielle ou particulière (contingente) de son objet, ne vaut pas non plus uniquement par le sentiment de dignité ou de légitimité qu’il confère à celui qui hérite, reçoit. Il vaut aussi par la représentation positive qu’il donne de l’autre – de la figure de l’altérité en général. L’autre est justement celui qui peut donner – quoiqu’il ne le fasse pas tout le temps –, et pas uniquement détruire.

C’est donc le savoir que l’autre n’est pas fatalement une figure désespérante, ou adverse, qui est transmis. Je crois que guérir, dans la cure analytique, peut donc vouloir dire ceci, pour certains patients : les mettre dans une position telle qu’ils sont en mesure de remercier. En mesure d’avoir cette expérience fondamentale de gratitude dont ils ont été, auparavant, privés – ou déprivés, dirait Winnicott.

Ce qui fait voir, de manière caractéristique, que la psychanalyse n’est pas uniquement un lieu de verbalisation, une cure par la parole, encore moins la détermination d’un diagnostic et d’un traitement : c’est un lieu où, par le facteur temps, qui en est consubstantiel, se déroulent des expériences que le patient emporte avec lui. Qui sont autant d’expériences qu’il n’a pas pu vivre avant. 

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